Section 8 : le tournant dans l’emploi de la Garde

Le sursaut

Napoléon est rentré précipitamment à Paris le 18 décembre 1812 laissant en Russie une armée anéantie dont Eugène de Beauharnais conduit les débris de l’autre côté de l’Elbe. Sa défaite fait l’effet d’un coup de tonnerre dans toute l’Europe. La Garde a été décimée, le froid glacial de Russie ayant eu raison de 75% de la Vieille Garde et de 90% de la Jeune Garde.

Début 1813. Les états de Prusse orientale, puis toute la Prusse, se soulèvent contre la France, au prix d’une hégémonie russe qui, décidée à en finir avec Napoléon, prend la tête d’une alliance, socle d’une 6e coalition. Persuadé que seul l’hiver est responsable de tous ses revers et malgré les terribles nouvelles de décès par gelures et d’épuisement parmi les rescapés, l’Empereur commence à concevoir une nouvelle campagne. Estimant que les Russes ont presque autant souffert que les Français, il est certain d’une future victoire et déclare : « Vous devez toujours dire et croire vous-même, qu’à la prochaine campagne, je repousserai les Russes de l’autre côté du Niémen ». Napoléon, considérant que le désastre aurait pu être évité si la Garde Impériale avait été plus nombreuse, décide de lui donner une plus grande importance en renforçant ses effectifs par rapport aux campagnes passées. Il confie l’organisation de la nouvelle troupe de choc à Géraud Christophe Michel du Roc dit Duroc, duc de Frioul, grand maréchal du palais. Placés sous ses ordres, le maréchal Edouard Mortier, duc de Trévise est chargé de l’infanterie, et le général Walther, de la cavalerie. Le temps presse. Les officiers de la Vieille Garde vont reprendre du service en encadrant les nouvelles promotions abondamment alimentées par des soldats de la Ligne. Ils seront rapidement rejoints par des officiers et des sous-officiers rapatriés d’Allemagne et d’Espagne.

La levée en masse

L’Empereur, confiant et déterminé, décide de constituer une nouvelle Grande Armée et remettre sur pied son unité d’élite, la Garde, en relevant un défi considérable. Quelques dépôts militaires subsistent sur le territoire, à Versailles, Fontainebleau et La Fère (Aisne). Certes les effectifs sont maigres : quelques bataillons de pupilles et de voltigeurs, quelques cavaliers, soient environ 8 000 conscrits peu instruits de la classe 1813 appelés le 1er septembre de l’année précédente. L’Empereur se rend à l’évidence : la mise sur pied d’une nouvelle armée ne peut se faire que sur une levée massive de conscrits. Sans attendre, dès février 1813, 100 000 hommes sont incorporés sur les classes 1809 à 1812, dont 10 000 à la Jeune Garde. La garde nationale est sollicitée en fournissant quelques milliers d’hommes déjà instruits. En avril, 200 000 jeunes hommes de la classe 1814 sont convoqués, puis une seconde vague de 80 000 dont 24 000 pour la Jeune Garde. Simultanément, les fonderies, les arsenaux et les manufactures travaillent à plein régime, de jour comme de nuit pour fournir attelages, caissons, voitures, armement d’infanterie, canons, etc. Les premières mesures de montée en puissance sont en faveur de l’infanterie, la « reine des batailles ». Les cadres de la Jeune Garde, tout d’abord, gendarmes d’élite, chasseurs, grenadiers, cavaliers « démontés » doivent être regroupés pour former l’ossature des futures unités. Les 250 bataillons de l’armée d’Espagne envoient 3000 vieux soldats solides et aguerris, la moitié de plus de 8 ans de service, l’autres moitié, de 4 ans. Le reste de l’armée, et tous les dépôts apportent leur contribution. Au cours du mois de janvier 1813, les décrets de formation des régiments de chasseurs à pied et de voltigeurs se succèdent.

La cavalerie est plus difficile et plus lente à organiser. Les cavaliers manquent tout autant que les chevaux. Comme pour l’infanterie, l’armée d’Espagne est sollicitée avec 6 000 hommes sélectionnés dans les 30 régiments, mais il manque plus d’un millier de chevaux, sans compter le besoin de 1 500 montures pour l’artillerie à cheval, elle aussi en cours de réorganisation à partir de sous-officiers et de canonniers de l’artillerie de marine. Au final, on parvient, pour l’artillerie à pied et à cheval de la Garde Impériale, à aligner 196 pièces servies par la Vieille Garde pour 6 batteries et 14 pour la Jeune Garde.

Malgré les efforts et les prospections tous azimuts, le manque de chevaux affecte surtout le train des équipages, acceptant ainsi le risque de défaillances dans l’approvisionnement en vivres et le soin aux blessés pour les batailles futures. Pourtant, pour la Garde Impériale, rien n’est négligé s’agissant de l’Administration. On mobilise cordonniers, bottiers, tailleurs, couturiers, etc., pour fournir des quantités prodigieuses de souliers et d’habits. De plus, la Garde incorpore de nombreux étudiants en médecine et en chirurgie en dédommageant généreusement ces jeunes gens interrompant leur carrière. Le 31 mars 1813, l’Empereur décide la création de 4 régiments de gardes d’honneur sans pour autant les intégrer, pour l’instant, à la Garde Impériale. Ultérieurement, une sélection sera opérée parmi les meilleurs de ces 10 000 jeunes gens issus de la noblesse et de la haute bourgeoisie pour former 4 compagnies de gardes du corps. Entre temps, le traité de Kalisz, le 28 février, vient de sceller la rupture avec la Prusse et son alliance avec la Russie, entraînant le départ des Français de Berlin. Dès avril 1813, le général en chef de l’armée Russe, Pierre Willgenstein et le feld-maréchal prussien Gebhard Leberecht von Blücher pénètrent en saxe avec 80 000 hommes. Toute la Garde Impériale se regroupe à Francfort, avant de se positionner derrière le corps d’armée du maréchal Marmont à Eisenach (province de Thuringe, 60 km à l’ouest d’Erfurt), conformément au plan de déploiement de l’Armée ordonné par l’Empereur. Alors qu’il décide d’attaquer les corps russo-prussiens devenus menaçants en se déployant sur le terrain, la Garde arrive à Naumbourg le 29 avril, un village de Saxe à 2 journées de marche d’une ville qui, quelques mois plus tard, rentrera dans l’histoire de la Grande Armée et de l’Empire : Leipzig.

Le maréchal Bessières, tué à l’ennemi

Le 1er mai, en fin de matinée, le corps d’armée du maréchal Ney prend contact avec la cavalerie russe du général Sergey Lanskoy au niveau du ravin de Rippach près de Lützen. L’âpreté des combats rend la progression difficile. L’Empereur ordonne au maréchal Bessières (désigné, en 1813, commandant de toute la cavalerie de la Grande l’Armée, dont la Garde) de franchir la coupure avec la cavalerie de la Garde et de repousser les cosaques. Sous le feu, Bessières rejoint Ney afin de monter la manœuvre. 12h55 : un boulet ricoche sur un muret et frappe le maréchal ayant fait demi-tour pour donner les ordres à ses cavaliers. Affreusement mutilé, il est traîné à l’écart pour échapper à l’ennemi et déposé dans une maison en ruine. Tué sur le coup, le maréchal Bessières vient de rentrer dans l’Histoire. L’émotion de ses cavaliers est immense lorsqu’ils entendront la lecture du bulletin de la Grande Armée : « Il est peu de pertes qui puissent être plus sensibles au cœur de l’Empereur ; l’Armée et la France entière partageront la douleur que Sa Majesté a ressentie […] ». Dans la journée, face à la densification des forces ennemies, les grenadiers, les chasseurs et la cavalerie de la Garde se regroupent en arrière de Lützen. Le lendemain, alors que l’Empereur vient de prendre le chemin de Leipzig avec la Garde pour attaquer le gros de l’adversaire, le général Berthezène aperçoit, du haut du clocher de Lützen, une armée immense couvrant l’horizon. Averti, l’Empereur envoie porter un ordre bref et ferme : « La Garde au feu !». L’ouverture du feu par les 100 pièces de Blücher sur le corps d’armée de Ney confirme l’urgence de contre-attaquer vigoureusement pour le dégager alors qu’il perd les villages qu’il occupait dont Kaya, le plus important tactiquement. L’arrivée de Napoléon à la tête de la cavalerie de la Garde au grand galop enthousiasme la troupe et rassure les chefs. La Jeune Garde part à l’assaut. Le coup de butoir porté sur l’ennemi est terrible. L’artillerie, protégée par la Vieille Garde en carré tire à la mitraille à bout portant. Dans une mêlée affreuse, les fantassins étrillent les troupes russes et reprennent le village de Kaya. La victoire est acquise, mais au soir, la Grande Armée a perdu 18 000 hommes. La Jeune Garde a brillé, elle a dominé. La poursuite de l’ennemi en débandade se poursuit jusqu’à Dresde, la capitale saxonne. Le 12 mai, toute la Garde est sous les armes pour rendre les honneurs au roi de Saxe, allié de l’Empire. Mais, le roi rapporte des nouvelles inquiétantes sur une probable sortie de l’Autriche de sa neutralité.

La fragile victoire à Bautzen

Napoléon, soucieux d’anticiper un renforcement de la coalition, décide d’attaquer sans attendre les Russes et les Prussiens retranchés au niveau de la ville de Bautzen (40 km nord-est de Dresde), de l’autre côté de la rivière Sprée, sur 2 lignes. Une attaque frontale est déclenchée le 20 mai. La Garde, initialement en soutien de 4 corps d’armée contourne Bautzen par la gauche avant de mener l’assaut d’un bel élan, et d’enlever, au soir, la première ligne des coalisés en défense ferme sur les points hauts et boisés du terrain. La journée du 21 mai, débute par une canonnade d’enfer fixant les positions ennemies qui ripostent par une puissante artillerie.

Les pertes sont importantes. La brigade de grenadiers à pied de la Garde du général Rottembourg subit des attritions par files entières. Le bataillon de chasseurs à pied de la division Dumoustier est contraint d’abandonner une redoute à peine conquise au prix fort. Pourtant, la Jeune Garde finit par bousculer l’ennemi alors que Ney ne réussit que difficilement sa manœuvre de débordement et de neutralisation de la ligne de retranchements dans la région de Wurschen. Le 23 mai, la Garde poursuit l’armée ennemie qui se retire en combattant. L’Empereur, qui est sans cesse sur les pas de l’avant-garde, arrive à Markersdorff et fait déployer des troupes pour attaquer. Accompagné du général Caulaincourt, du maréchal Mortier, du maréchal Duroc et du général de génie Kirgener, il prend position sur un point haut alors que l’ennemi tire 3 coups de canon dont l’un des boulets vient frapper un arbre auprès de l’Empereur. En ricochant, il traverse le corps de Kirgener au niveau de la ceinture, le tuant instantanément et blesse grièvement le maréchal Duroc. Il n’est pas mort sur le coup. Le chirurgien de la Garde Dominique Larrey et son équipe sont accourus mais les efforts de l’art seront impuissants. Le boulet a déchiré les entrailles ; on vient de transporter le mourant dans une des premières maisons de Markersdorf. Alerté, l’Empereur fait stopper net la Garde, la rejoint pour observer les mouvements de l’adversaire. Le soir, au camp impérial, après de longues minutes dans un morne silence, assis sur un tabouret, les mains jointes, il se rend au chevet pour recueillir, dans la nuit, les dernières paroles et le dernier soupir du « grand-maréchal ».

 

L’état physique et moral de la Garde

Fin mai 1813. Les perspectives ne sont pas bonnes. En route vers la Silésie, l’armée, suivie de la Garde Impériale progressent dans une zone de forte insécurité. Bautzen a été une victoire, mais au prix de 18 000 hommes mis hors de combat. Le moral des chefs de la Garde est affecté par les pertes successives de Bessières, Kirgener et Duroc. Les hôpitaux de fortune débordent de blessés et d’agonisants. Même les grognards doutent : « C’est la campagne de Russie sans neige ». L’Empereur se rend compte du déclin de ses troupes qui n’ont plus les jambes de 1805. Les recrues inexpérimentées de la Jeune Garde ne sont plus que l’ombre de leurs aînés, et le nombre de désertions explose. Mais la dégradation du moral va bien au-delà de la grogne. Les mauvaises habitudes de pillage et de destruction pour la survie dans le froid et la misère lors de la retraite de Russie reprennent le dessus. Le vol, la vengeance et le manque de compassion sont devenus une fatalité. L’esprit de la Vieille Garde s’est émoussé au fil des recrutements opérés à la hâte. Dans son œuvre « La Garde Impériale », le commandant Lachouque va plus loin en écrivant : « Les officiers de la Vieille Garde, bien payés, gâtés par les récompenses et l’indulgence du Maître considèrent que celles-ci leur sont dues et manifestent des exigences d’autant plus grandes qu’ils ont connu jadis l’infortune et la misère ». Cependant, leur courage au combat et leur dévouement à l’Empereur demeurent intacts, y compris dans la Jeune Garde. Pourtant, cette force d’âme est supplantée par les besoins physiques inhérents aux marches forcées et aux privations de nourriture. Le commandement s’en ressent par sa rudesse.

L’Empereur veut profiter à plein de ces 2 mois à Dresde pour réorganiser son dispositif sur le fleuve Elbe et de nouvelles opérations, alors que l’Autriche vient d’annoncer son entrée dans la coalition. Les détachements de la Garde prennent position dans les villages sur la rive droite. Une partie de la cavalerie est maintenue auprès des unités de la Ligne ayant reçu pour mission d’assurer les communications vers le Rhin. Le général Castex commandant les grenadiers à cheval vient d’arriver à Dresde avec 900 chevaux et un bataillon de la Vieille Garde arrivé de Paris. Les régiments du roi Joseph sont incorporés dans la Jeune Garde, rejointe par les régiments de gardes d’honneur. Au 10 août, on célèbre la fête de l’Empereur (au lieu du 15). Le même jour, les coalisés rompent l’armistice.

La manœuvre de Dresde

La reprise des hostilités est fixée au 16 août. Initialement, le dispositif français est déployé à environ 50 km à l’est de Dresde face à 3 armées formant un arc de cercle avec Bernadotte au Nord (armée suédoise), les feldmarchal Blücher au centre (armée de Silésie) et Schwartzenberg au sud (armée de Bohême). Les ordres à peine expédiés, l’Empereur, à la tête de la Garde fonce sur Blücher, engagé dans une offensive sur le Corps d’armée de Ney, au centre. A marches forcées, sous la pluie et sur des chemins épouvantables, la Garde bouscule Blücher qui refuse la bataille et se retire. Dans sa lancée, la Garde rejoint la ville de Görlitz le 22 août pour renforcer le corps d’armée de Gouvion Saint-Cyr en difficulté face à l’armée de Bohême. A la vue des bonnets à poil, l’ennemi marque un temps d’arrêt. Mais les nouvelles sont alarmantes : les alliés s’infiltrent dans la plaine de Dresde. Averti, Napoléon décide de marcher directement sur la ville menacée.

Le 26 à l’aube, la Garde, ayant parcourue 200 km en 4 jours, part à vive allure, parfois au pas de course. On n’attend pas les hommes fourbus s’écroulant à bout de force contre les talus « ils rejoindront plus tard ! ». Au soir, la Jeune Garde et l’artillerie s’engouffrent dans la ville sous les boulets qui pulvérisent les toits. Alors que l’ennemi se rue dans les faubourgs, les divisions de la Garde engagent des sorties par les portes de la ville, appuyées par une artillerie déchaînée. Grenadiers, chasseurs et voltigeurs enlèvent les positions russes et clouent sur place leur canonniers préparant des tirs à bout portant. Le 27 août matin, sous une pluie torrentielle, le combat reprend avec une Jeune Garde efficacement appuyée par les pièces d’artillerie judicieusement décentralisées au niveau des brigades. L’ennemi est repoussé en laissant sur le terrain 20 000 hommes hors de combat et 3 000 prisonniers.

Si Napoléon est vainqueur à Dresde, il est dans l’impossibilité d’exploiter sa victoire. En effet, les pertes de la Garde sont lourdes avec presque tous les généraux blessés, 100 officiers et 2 000 hommes hors de combat. De plus, ses maréchaux subissent une succession de revers contre les 3 armées alliées, malgré les tentatives de l’Empereur à colmater dans l’urgence les dangereuses brèches dans le dispositif des corps d’armée. Enfin, la vigueur des troupes s’est affaiblie, la lassitude et le désir de terminer une guerre épuisante gagnent les esprits. On signale des désobéissances et les officiers s’inquiètent des contre-ordres multiples et précipités donnés par un chef soudain affectés par des problème de santé.

Fin août : l’étau se resserre sur la Grande Armée et Napoléon est seul contre une coalition réunissant presque toute l’Europe. La Garde, élément principal de l’armée est désormais au seul commandement de l’Empereur.

Le désastre de Leipzig

Au 1er octobre 1913, la Jeune Garde est formée de 4 divisions (720 officiers et 20 300 fantassins) et la Vieille Garde compte 300 officiers et 10 500 « grognards ». L’artillerie de la Garde est forte de 140 officiers, 7 100 artilleurs et 202 bouches à feu. Quant à la cavalerie avec 3 divisions dont une renforcée par un escadron de chaque régiment de gardes d’honneur, elle aligne 500 officiers, 7 800 cavaliers et autant de chevaux. Avec 1 660 officiers et 45 700 soldats, la Garde représente numériquement un tiers de l’Armée.

Interrompues à la fin août, les hostilités vont reprendre à l’automne. En ayant habilement pris soin de s’attaquer à ses maréchaux plutôt qu’à l’Empereur lui-même, les coalisés avec 350 000 hommes se présentent groupés devant la grande ville de Leipzig autour de laquelle Napoléon a positionné 200 000 soldats en un vaste cercle. Un affrontement titanesque qualifié de « Bataille des Nations », se prépare. Placé en position centrale et forcé d’accepter la bataille, Napoléon pense pouvoir la remporter en faisant porter successivement ses efforts sur ses principaux ennemis, profitant d’une bonne capacité à faire basculer ses réserves d’une aile à l’autre, étant au centre d’un dispositif ennemi lui-même demi-circulaire.

La bataille est imminente. En effet, le 16 octobre à 7 heures, la Garde fait mouvement vers ses positions de combat. A 9 heures, un formidable duel d’artillerie est déclenché. Mais alors que l’exploitation des feux de l’artillerie semble bien engagée, le corps d’armée polonais du maréchal Joseph-André Poniatowski et les chasseurs à pied de la Garde du général de division Philibert Crurial sont au bord de la rupture dans la défense des ponts au sud de Leipzig face aux Autrichiens. De même les corps des maréchaux Macdonald, Ney et Marmont sont malmenés au nord et à l’est. Dans la nuit, la Vieille Garde fait le bilan de ses importantes pertes causées par l’artillerie ennemie. Sans attendre, l’Empereur donne les ordres préparatoires à une retraite devenue inéluctable. La Garde se met en place pour couvrir l’opération. La journée du 17 n’est marquée que par une canonnade au cours de laquelle arrive Bernadotte (ex-maréchal d’Empire et futur roi de Suède) à la tête de l’armée du nord et le général russe Bennigsen à l’est. A Leipzig, les convois vont entamer leur évacuation, tristes cohortes de malheureux et de blessés cherchant une ambulance.

18 octobre, 7 heures : le canon tonne sur tout le front. La Vieille Garde sonne le branle-bas de combat et 4 colonnes attachées à une batterie d’artillerie viennent colmater une brèche entre les corps d’armée des maréchaux Victor et Oudinot. C’est alors que Napoléon, en pleine action, doit faire face à la défection des Saxons et des Wurtembergeois qui brise son front de défense et au renégat Bernadotte qui rentre en ligne par le nord. Le front n’est maintenu qu’à grand peine face à des forces coalisées supérieures, grâce à la Garde Impériale qui résiste, mais le cercle de fer se resserre sur l’Armée, l’ennemi se renforce, la situation devient intenable et la retraite doit s’accélérer en profitant de la nuit pour traverser la rivière Elster.

Le soir du 18 octobre, la bataille est perdue pour les Français : 320 000 soldats coalisés convergent autour de 170 000 Français pratiquement à court de munitions. L’avant-garde de Blücher entre dans les faubourgs de Leipzig. Dans la journée du 19, les coalisés, désormais sous le commandement unique de Schwarzenberg, attaquent en 5 colonnes concentriques autour de Leipzig. Les troupes françaises s’écoulent peu à peu vers l’ouest, mais une escouade française du génie fait sauter prématurément le dernier pont, piégeant un tiers de l’armée sur la rive est de l’Elster. Pour éviter la capture, de nombreux soldats tentant de franchir la rivière à la nage se noient, comme Poniatowski élevé 3 jours plus tôt à la dignité de maréchal d’Empire. La retraite de Napoléon, malgré la perte de 60 000 soldats lui permet de sauver son armée en contenant ses ennemis par de fortes arrière-gardes. Alors qu’elle se dirige vers Mayence, le 30 octobre, les Austro-Bavarois cherchent à lui barrer la route à la hauteur de Hanau. L’Empereur décide d’enfoncer le barrage avec les 8 000 fantassins et les 4 000 cavaliers de la Vieille Garde. Le général d’artillerie Antoine Drouot trouve un accès à travers la forêt pour déployer ses 50 canons, qui démantèlent l’artillerie ennemie. La cavalerie lourde de la Vieille Garde, conduite par le général Walther, major des grenadiers à cheval et les Dragons de l’Impératrice s’engouffre sur la route désormais ouverte et mène une charge décisive, tandis que les chevau-légers polonais sabrent les cavaliers bavarois en déroute.

Le 2 novembre, Francfort est atteint et le lendemain, la Garde rentre dans Mayence. En réserve sur la Sarre dans de larges cantonnements, la Garde, Jeune et Vieille, panse ses plaies et se repose. Fin novembre, elle rejoint Trèves, centre de l’échiquier stratégique défini par l’Empereur. Le général Roguet reprend en main une Vieille Garde pour refaire une cohésion et une discipline diminuées par l’épuisante campagne qui s’achève. En ce 5 décembre 1813, on renoue avec la tradition par une prise d’armes en grande tenue pour la célébration de l’anniversaire du couronnement

Vers l’invasion

Fin 1813. Le désastre de la campagne de 1813 qui avait pourtant débutée favorablement pour Napoléon à Lützen, a d’immenses conséquences avec la défaite décisive à Leipzig. L’Allemagne entière est perdue, la Confédération du Rhin et la structure de l’Empire napoléonien s’écroulent. La Bataille des Nations, en annulant l’héritage d’Austerlitz et de Iéna, élimine toute possibilité de voir Napoléon vainqueur de la guerre, pire, de préserver les conquêtes acquises depuis 1805. L’Empire français a perdu ses derniers alliés, à l’exception des fidèles contingents polonais. Au-delà de la catastrophe, l’année 1813 marque un tournant dans l’emploi et le rôle de la Garde Impériale. Dans « Le mythe de la Grande Armée » (voir sources), Stéphen Calvet, professeur d’histoire contemporaine et membre de l’Institut Napoléon écrit : « A Lützen, mais surtout à Dresde, elle [la Garde Impériale] intervient non plus en tant que force de soutien, mais en tant que troupe d’assaut » et précise : « A l’instar de la cavalerie, l’infanterie mène le pas de charge ».

La Garde, avec ses effectifs doublés depuis 1813 et portés à 110 000 hommes l’année suivante va devenir la force principale de l’armée pour la campagne désespérée de 1814 qui va commencer, non pas en Espagne ou au confins de l’Europe, mais sur le sol de France.

 

Christian LE MELINER

 

A suivre, section 9 : « La Garde donne sur la terre de France »

 « Ils grognaient et le suivaient toujours », par Auguste RAFFET (1836)

 

Sources : « La Garde impériale » – Commandant Henry LACHOUQUE – édition LAVAUZELLE – 1982 ;

« Les mythes de la Grande Armée » – Sous la direction de Thierry LENTZ et Jean LOPEZ – édition PERRIN – 2022 ;             « Les guerres napoléoniennes, une histoire globale » – Alexander MIKABERIDZE – édition FLAMMARION – 2020 ;

Encyclopédie WIKIPEDIA ;

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