Le sanglant baroud d’honneur
Le 25 mars 1814, 200 000 coalisés ont repris la direction de Paris transformée en place forte. L’Impératrice et le roi de Rome ont quitté la ville et rejoint le château de Rambouillet sous la protection d’un détachement de la Vieille Garde. Le corps d’armée de Marmont, en défense sur le secteur est de Montreuil à Pantin avec 9 000 fantassins et 3 000 cavaliers, va affronter l’armée de Bohème du feldmarshal Schwarzenberg. Le corps d’armée du maréchal Mortier, déployé au nord depuis le canal de l’Ourcq jusqu’à la Seine, va faire face à l’armée de Silésie de Blücher. Le 30 mars à l’aube, avec la division du général Joseph Boyer de Rebéval (chasseurs à pied de la Garde), il tente, malgré les assauts des cuirassiers russes, de s’emparer du plateau stratégique de Romainville. Plus au nord, Pantin est fermement tenu par les grenadiers à pied de la Garde sous les ordres du général Claude Etienne Michel. De son côté, Mortier a bouclé son dispositif : les divisions Jean-Baptiste Crurial et Henri Charpentier de la Jeune Garde à la Villette, la division Christiani de la Vieille Garde à la Chapelle et la cavalerie au pied de Montmartre. Mais dès 14 heures, les alliés attaquent partout. La Jeune Garde se heurte aux grenadiers russes dans un carnage à l’arme blanche. Le Maréchal Marmont, menacé sur ses flancs, relance ses attaques mais les charges sont brisées par une batterie de canons tirant de la mitraille. Les divisions perdent Pantin, et s’accrochent désespérément au Pré-Saint-Gervais, pendant que la Vieille Garde résiste encore devant Clignancourt. Les tirs à la mitraille des 20 canons de l’artillerie de la Garde provoque une boucherie dans les rangs de Schwarzenberg qui parvient néanmoins à encercler Marmont et pénétrer dans Paris. Au nord, la situation de Mortier et de la Vieille Garde est désespérée. On se bat à la baïonnette. a la nuit, l’ennemi n’est pas parvenu à rentrer au cœur de Paris, mais de toute évidence, le sort de la ville est déjà scellé. La supériorité écrasante de l’adversaire, les terribles pertes et l’épuisement des réserves en armes et en munitions contraignent les maréchaux à se retirer avec leur troupe et à signer la capitulation le 31 mars à 2 heures du matin. C’est le désastre.
Déceptions et trahisons
31 mars, 4 heures du matin. Au relai de Juvisy, l’Empereur, assis à la table du maître de poste, relève la tête qu’il tenait dans ses mains, lorsqu’une estafette de Caulaincourt lui annonce la capitulation de Paris. Il rejoint alors le château de Fontainebleau, où un piquet d’honneur de vétérans de la Vieille Garde lui rend les honneurs, alors que les cocardes blanches fleurissent déjà dans la capitale. Napoléon imagine un coup de main, comptant sur sa présence et celle de la Garde pour une levée du peuple encore resté fidèle. Entre temps, la cavalerie de la Garde et l’artillerie à cheval arrivant de Troyes le 2 avril fustigent « les lâches français qui semblent jaloux d’afficher leur honte aux yeux des représentants de l’Europe ».
3 avril, midi : Toute la Garde est réunie dans la cour du Cheval-Blanc, les régiments en colonne de bataillons de jeunes et de grognards exténués après avoir couvert, pour certains, 120 km en 60 heures. L’Empereur ordonne aux anciens officiers, sous-officiers et soldats de chaque unité de le rejoindre au milieu de la cour. A la fin d’un discours solennel, il déclare « Dans peu de jours, j’irai attaquer Paris. Je compte sur vous ! ». Puis, brisant un long silence, il rajoute : « Ai-je raison ? ». Soudain, une immense clameur amplifiée par l’écho des murs du château, s’élève : « A Paris ! Vive l’Empereur ! ». Les officiers retournent à leurs compagnies et répètent les propos du Maître. Les soldats hurlent : « Vengeance ! » et jurent d’aller « terminer leur carrière sous les décombres de la capitale ». Au même moment, à Blois, l’Impératrice s’adresse à son escorte, composée de vieux grognards : « […] Vous serez fidèles à vos serments. Vous écouterez la voix d’une princesse qui fut remise à votre foi, qui a fait toute sa gloire d’être française, d’être associée aux destinées du souverain que vous avez librement choisi […] ». Mais dans la soirée du 3 avril, les maréchaux Oudinot, Moncey, Lefebvre et Ney persuadent un Empereur fortement ému et effrayé par le spectre d’une guerre civile à accepter son abdication. Raison ou trahison ? Sagesse ou faiblesse ? l’Histoire, seule, peut juger.
Le 4 avril, vers 22 heures, tous les maréchaux sauf Marmont et tous les généraux de division sauf Souham, sont réunis auprès de l’Empereur qui pose la question « Que pense l’Armée ? Se battrait-elle encore, le cas échéant ? » … aucune réponse… Le lendemain, au soir du 5 avril, le refus des alliés d’une abdication conditionnelle met fin définitivement à tout espoir, alors que les coalisés, le gouvernement provisoire et Talleyrand manifestent le désir d’un retour des Bourbons. Pourtant, les généraux de la Garde refusent de se rendre à un rassemblement de leurs homologues de la Ligne. Leur tristesse est immense.
Tout est fini. La Garde ne partira pas sur Paris. A Fontainebleau, dans les bivouacs, les jurons fusent. Les grognards vocifèrent surtout contre Marmont : « Le traitre, le déserteur !» et laissent éclater rancœur et colère. Ils pensent à leur Empereur, « abandonné, trahit, mesurant la bassesse, l’ingratitude, la lâcheté des hommes » qui vient de formuler son abdication définitive et inconditionnelle.
La mission de Cambronne
L’Empereur déchu rend son épée le 6 avril matin. A cette instant, sa destination (une souveraineté) est encore incertaine. Mais là où il sera, il pourra disposer d’une troupe choisie parmi les soldats de la Vieille Garde et de quelques généraux fidèles. Dès le 7 avril, les généraux Louis Friant, Jean martin Petit et Jean-Jacques Pelet sont débordés par un afflux de volontaires. Le lendemain, la liste est close après des disputes et des rixes. « Pourquoi pas moi ? j’ai 22 ans de service, 3 trous dans la carcasse et je suis décoré de la Légion d’Honneur ! », s’exclame un vieux grognard, les larmes aux yeux, la voix cassée. Il sera retenu dans le « Bataillon Napoléon », un bataillon d’infanterie initial de 607 hommes, 120 chevaux légers polonais et 21 marins de la Garde. Il sera aux ordres du général Pierre Cambronne (blessé plusieurs fois lors de la campagne de France) avec le titre de major général de la Garde. Enfin, la destination tombe : l’Ile d’Elbe.
Dès le premier rassemblement quotidien des vétérans non retenus au Bataillon après la chute de leur idole, ils entendent « La Patrie reconnaissante vous remercie […] », mais on leur rappelle surtout qu’ils sont soldats de la Patrie, même si l’Empereur a délié chacun de ses serments. C’est ainsi que le beau régiment de chevau-légers polonais de la Garde rend les honneurs à l’Empereur une dernière fois, avant de reprendre la route pour rentrer dans leur pays. Un escadron d’irréductibles sous les ordres du chef d’escadrons Jerzmanowski reste près de l’Empereur pour suivre son sort. Au fil des jours, les feux des bivouacs s’éteignent un à un. Sans ordre, sans but, sans espoir, certaines unités non retenues de la Garde voient leurs rangs s’éclaircir par le départ de ces vétérans avec arme et bagage vers Paris pour un nouvel avenir. Mais quel avenir ? « Il » n’est plus là. « Il », leur Empereur, dans son palais désert, en proie à un désespoir et à une tristesse infinie qui le conduit à une prise massive d’opium (tentative de suicide ou soulagement de terribles douleurs abdominales ?) dans la nuit du 12 au 13 avril. Cette nuit même, Jerzmanowski courait vers Orléans pour remettre à Marie Louise une lettre dont on ignore le contenu. Entre temps, le général Lefebvre-Desnouettes parvient à rassembler 1 500 cavaliers qui escorteront l’Empereur, jusqu’à Briare (sur la Loire, à 80 km au sud-est d’Orléans), mais pas au-delà.
L’épreuve des adieux
Mais en ce 20 avril 1814, au château de Fontainebleau, l’heure est aux adieux. Alors que l’Empereur, en tenue de chasseurs de la Garde, apparaît sur le palier de l’escalier, le général Jean Martin Petit fait présenter les armes aux 1500 chasseurs, dragons, grenadiers à cheval qui composent l’escorte. Alors, retentit la sonnerie « Pour l’Empereur ! ». Arrivé au pied de l’escalier, il déclare : « Officiers, sous-officiers de Ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux ! Depuis 20 ans, je suis content de vous ; je vous ai toujours trouvés sur les chemins de la Gloire …] ». A ces mots, le général Petit, submergé par l’émotion, brandit son épée et crie un retentissant « Vive l’Empereur ! », repris par ses soldats. Napoléon presse le général dans ses bras, embrasse l’Aigle à 3 reprises et dans un silence pesant, prononce ces mots ultimes : « Adieu mes enfants », avant de monter dans la voiture. Le désespoir est immense. Les cœurs sont serrés, les gorges nouées et quelques larmes coulent sur les joues tannées des grognards, avant de se perdre dans leur moustache. L’âme de la Garde vient de disparaître. Tous ces soldats décorés, admirés, ivres de gloire, qui ont tant souffert, lutter par Lui, et pour Lui, ressentent une indescriptible amertume, un abandon, une profonde blessure dans leur cœur.
Ils disent : « On était SA Garde. On ne le quittait pas, Lui, dont le regard faisait frissonner. On ne verra plus sa capote grise tachée de brûlures du feu des bivouacs, ni son chapeau posé près de nous les soirs à fêter les victoires ».
Le crève-cœur des dissolutions
Le nouveau gouvernement s’interroge : Que faire de ce qui reste de la Garde ? Comment rallier ces valeureux soldats à la Royauté ? Comment acquérir la fidélité de ceux qui ont tant donné pour l’Empire ? Les réponses sont d’autant plus complexes que la méfiance prédomine. C’est le général Louis Friant, blessé plusieurs fois, nommé colonel commandant les grenadiers à pied de la Vieille Garde pour ses actions d’éclat à La Moskowa, héros des campagnes de Russie, d’Allemagne et de France, qui va s’employer à maintenir ces vétérans dans le devoir militaire. Déjà, avant même le départ de l’Empereur, Friant leur demande au cours d’une allocution le 17 avril de rester fidèle à l’honneur de soldat français. D’ailleurs, Napoléon lui-même leur a rappelé qu’ils étaient avant tout soldats de la Patrie alors qui les déliait de leur serment. Les grognards sont résignés. Beaucoup n’ont plus de famille, plus de clocher, plus de toit. Pourtant, « il faut servir de la France, la Patrie, mais la Patrie, c’est Lui ! ». Même s’ils ont perdu la foi en leur destinée grandiose, ils se raccrochent, avec camaraderie et fraternité à leur confiance, dans l’honneur de soldat, envers le maréchal Mortier. Mais l’heure est aux douloureuses dissolutions. Le 12 juin, la Jeune Garde n’existe plus, dispersée dans des garnisons sur l’ensemble du territoire. Le général Charles François Dulauroy, commandant l’artillerie de la Garde tentent en vain de sauvegarder le corps et l’intégrité des 3 garnisons de Paris, Vincennes et La Fère. La réduction des effectifs atteint 60 % et les « rescapés » sont expédiés eux aussi dans les régiments de la Ligne. Le bataillon du génie de la Garde et le corps des marins sont dissous. Le corps médical du chirurgien de la Garde Dominique Larrey (voir section 5) avec les 5 divisions d’ambulances est démantelé et dispersé. Le 15 juin 1814, la 2e division de la Vieille Garde du général Charles-Joseph Christiani, héros de la Campagne de France, est éparpillée entre Grenoble, Perpignan, Montpelier, Avignon et Mont-Dauphin, avant la dissolution immédiate de 3 bataillons de chasseurs. Les vélites de Turin, démobilisés, rejoignent l’Italie.
Les Corps royaux de France
La question du licenciement de ce qui reste de la Garde se pose, alors que le projet d’organisation des corps destinés à former la garde du Roi Louis XVIII prend forme. Après hésitation, la Garde, réduite, est finalement conservée pour éviter une révolte des vétérans, mais elle change de nom afin d’affaiblir son esprit de corps et les souvenirs de l’Empereur. Les grognards rechignent, et un scandale est évité de justesse lors de la prise d’armes d’accueil de louis XVIII à son entrée dans Paris le 3 mai. Mal à l’aise, renfrognés, humiliés de ne pas défiler en tête du cortège comme autrefois, ils refusent de crier « Vive le Roi » et leur attitude insolente sur les rangs contraint le général Friant à les renvoyer à la hâte dans leur caserne. Le 12 mai, Louis XVIII publie sa décision de création des Corps Royaux de France en nommant le maréchal Oudinot « colonel-général des Corps royaux des grenadiers et des chasseurs ». Le général Friant commandera les grenadiers, et le général Crurial, les chasseurs, avant de rejoindre Metz et Nancy. De nombreux officiers sont retirés des cadres d’active et porteront l’appellation « demi-solde ». Les corps royaux de cavalerie s’organisent selon les ordres du maréchal Ney qui doit faire face à un grand désordre. Tout est à reprendre : l’habillement est inexistant ou usé, les chevaux sont de piètre qualité et souvent inutiles, Les armes à feu de type pistolet et mousqueton font défaut et les équipements sont délabrés. Dragons, lanciers, chasseurs et cuirassiers tiendront garnison (parfois provisoirement), dans des villes de la moitié nord de la France, principalement Tours, Saumur, Blois, Orléans, Châteaudun, Arras et Saint-Omer. Pourtant, la frustration des grognards évolue en indignation lors de la transformation des insignes et de la remise de la nouvelle décoration aux dignitaires, la Croix de Saint-Louis, jusqu’à provoquer des tensions lors des revues. De plus, la solde n’arrive pas et la misère rôde.
La situation inquiète et remonte jusqu’au comte d’Artois (le futur Charles X), devenu colonel général des gardes nationales, qui s’en moque jusqu’à en rire. Mais dans les rangs des vétérans, on grogne : «Il reviendra!».
L’île d’Elbe
Mais que devient le Bataillon Napoléon, ce millier d’irréductibles et de coriaces de la Vieille Garde en route vers l’Ile d’Elbe ? Leur parcours de 1200 km par Macon, Lyon, Chambéry, le Mont-Cenis et Savone (Italie) donne lieu à quelques incidents par des «Vive l’Empereur !» devenus inopportuns en traversant les villes et par le port de la cocarde tricolore en dépit de l’interdiction. Le 26 mai, 35 jours après son départ, Napoléon tressaille de joie à leur arrivée sur le débarcadère de Portoferraio. Après une revue sur la place d’armes, les vieux braves rejoignent leur casernement, les officiers de la Garde sont les hôtes de Sa Majesté pour une soirée où ils boivent le bon vin du cru, braillent et chantent jusqu’au bout de la nuit dans l’euphorie de l’avoir retrouvé. Dès le lendemain, ils découvrent une île de 12 000 habitants, aux maisons rustiques, au sol aride mais aux vignes luxuriantes donnant un excellent vin blanc. Les grognards profitent d’une pêche abondante en poissons de qualité. Et puis, en ville, il y a les jolies filles à peau brune, gracieuses dans leur corset blanc et leur jupe de couleur vive. Très rapidement, un corps de la Garde se dessine. Les compagnies et les escadrons reçoivent leur emblème aux couleurs de l’Ile d’Elbe (tablier blanc traversé en diagonale par un ruban rouge avec 3 abeilles d’or cousues), mais surmontés d’un Aigle. Les grognards portent un peu à regret la cocarde aux mêmes couleurs, mais comme ils disent : « Elles (les abeilles) piqueront un jour ! ». De nombreux étrangers, Toscans, Génois, Hongrois, pas toujours très fiables, viennent grossir le bataillon. On recrute aussi en Corse. Les anciens de la Garde se chargent eux-mêmes d’écarter les « aventuriers » inaptes au métier de soldat. Dans son petit domaine de l’Ile d’Elbe, l’Empereur déchu retrouve, au contact de la Garde Impériale, un peu d’atmosphère des bivouacs d’antan. Il fait passer sa tabatière dans les rangs, et certains prétendent qu’il aurait chantonné « ça ne durera pas toujours » après avoir marmonné avec malice qu’« il faut prendre le temps comme il vient ». Pourtant, fin 1814, la situation se dégrade : la question d’argent préoccupe l’Empereur contraint de réduire la solde et de supprimer les indemnités de logement pour les officiers. La fidélité et la motivation restent inébranlables, mais les mines sont tristes, assombries par la monotonie, le mal du pays et les silences mystérieux de l’Empereur. Début 1815, la circulation inhabituelle de bateaux apportant des nouvelles d’un désaveu du gouvernement de la France et l’arrivée d’émissaires n’échappent pas aux grognards d’autant plus qu’une petite flotte se prépare. Un départ imminent ne fait plus de doute lorsqu’ils perçoivent des souliers et des habits neufs récemment arrivés par ballots entassés sur des rafiaux hétéroclites. Enfin, l’ordre est donné de boucler son paquetage le 26 février. Au soir, c’est le départ pour la Patrie. « L’Aigle et ses aiglons s’envolent pour Notre-Dame ». Le gros de la Garde embarque sur l’« Inconstant », un vieux brick (voilier à 2 mâts) de 26 canons, un des 7 navires de « Escadrille Napoléon ». Peu importe l’inconfort de l’entassement qui deviennent insupportables, les soldats massés sur le pont sont impatients de répondre par les armes aux attentes au sein de la population et de l’armée, mécontentes de Louis XVIII et du nouveau régime. Alors que la flottille longe des côtes italiennes et françaises par une mer calme et un ciel limpide, les grognards, arborant la cocarde tricolore jalousement préservée au fond de leur sac de campagne sont à la fête, chantent et boivent abondamment.
1er mars après midi : l’Inconstant jette l’ancre devant Golfe-Juan. Enfin, la Mère Patrie !
Le vol de l’Aigle
Le débarquement des 1200 hommes dont 600 grognards de la Vieille Garde a lieu le 1er mars à 13 heures. Napoléon envoie un détachement composé de 25 soldats pour prendre Antibes, mais la ville refuse de se rendre et fait prisonniers les soldats. Il renonce alors à passer par la vallée du Rhône en raison des importantes garnisons qui s’y trouvent ainsi que de l’opinion provençale, majoritairement royaliste. Il choisit la route du Dauphiné. A la tête de 50 grenadiers, Cambronne est déjà en route en éclaireur. Le 4 mars, la Garde en tête avec les lanciers polonais rentre au son du tambour dans Digne. L’accueil est froid. Puis, à marche forcée, la Garde franchit Sisteron, puis Gap le 5 mars. Entre temps, le roi Louis XVIII est informé du débarquement de « l’usurpateur » et Masséna, un ancien maréchal napoléonien, envoie des troupes pour arrêter Napoléon.
Le comte d’Artois (frère du roi) et le général MacDonald se joindront à lui en renfort dès le 6 mars, à Lyon. Mais, sans attendre, le général Jean-Gabriel Marchand, fidèle au roi, ordonne au bataillon du 5e de ligne, commandé par le chef de bataillon Delessart, de marcher sur le défilé de Laffrey (Isère) par lequel Napoléon doit passer. La rencontre donne lieu à un événement capital. En chemin, Delessard apprend l’arrivée de l’Empereur et décide de prendre position en avant du village de Laffrey. Napoléon, ordonne alors à ses hommes de mettre leur arme sous le bras gauche, et avance seul face au 5e de Ligne. Le capitaine Randon (futur maréchal et ministre de la guerre sous le second Empire) crie : « Le voilà ! Feu ! » mais ses hommes ne tirent pas. L’Empereur s’adresse à eux en ces termes : « Soldats du 5e, je suis votre Empereur, Reconnaissez-moi ». Puis, entrouvrant sa redingote : « S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, il peut le faire. Je viens m’offrir à vos coups ! ». Un immense cri de « Vive l’Empereur ! » lui répond, les soldats abandonnent la cocarde blanche pour la cocarde tricolore.
Les troupes de Marchand ainsi que le 7e régiment de ligne, parvenu peu après Grenoble en renfort du 5e, se rallient sans résistance. Cet évènement sur « La Prairie de la rencontre » marque la bascule de l’armée du camp du revenant de l’Ile d’Elbe. Napoléon et la Garde poursuivent leur route vers Grenoble, Bourgoin, puis Lyon, où les troupes du roi commandées par son frère le comte d’Artois, le duc d’Orléans (futur Louis Philippe) et le général Macdonald refusent d’attaquer les bonapartistes. La Garde prend 2 jours de repos à Lyon, avant de reprendre la route le 13 mars vers Villefranche-sur-Saône, puis Macon. Les ralliements à l’Empereur se démultiplient, y compris celui du maréchal Ney qui avait pourtant promis de « ramener l’usurpateur dans une cage de fer », et de nombreux officiers sans troupe. Le 18 mars, Napoléon est à Auxerre, puis la Garde, aux ordres du maréchal Oudinot le rejoint. Le dimanche 19 mars, Napoléon atteint Pont-sur-Yonne tandis que le roi et son ministère quittent préventivement Paris. Le lendemain, le 20 mars, Napoléon et la Garde arrive à Paris, accueillis par une foule immense. Alors qu’il n’est pas encore dans la capitale, le drapeau impérial flotte déjà dans la ville. Napoléon a réussi son objectif, il a reconquis son trône « sans verser une seule goutte de sang ».
Le 25 mars 1815, lors de la revue des troupes aux Tuileries, Napoléon déclare : « Grâce au peuple français, et à vous, le trône impérial est rétabli ; il est reconnu dans tout l’Empire, sans qu’une goutte de sang ait été versée […]. Soldats, vous serez constamment fidèle à la grande cause du peuple, à l’honneur français et à votre Empereur ! ». Pourtant, rien ne sera plus comme avant, et l’Empereur, confronté à une froide réalité, sait qu’il ne peut plus rétablir le régime impérial tel qu’il a existé. Il sait aussi qu’une future bataille devra être décisive, cette bataille qui engloutira la Garde, ce corps exceptionnel de fierté, de courage et de fidélité, dans l’honneur et la gloire quelque part en Belgique près d’un petit village du nom de Waterloo.
Christian LE MELINER
A suivre, section 11 (fin) : « La Garde meurt »
« Ils grognaient et le suivaient toujours », par Auguste RAFFET (1836)
Sources : « La Garde impériale » – Commandant Henry LACHOUQUE – édition LAVAUZELLE – 1982 ;
« Le Consulat et l’Empire » – Jean-Paul BERTAUD – A. COLIN – édition 2021 ;
Dictionnaire d’Histoire de France – sous la direction de Alain DECAUX de l’Académie française et André CASTELOT – librairie académique Perrin – 1981 ;
Encyclopédie WIKIPEDIA.







