« Je ne vais pas mal mais, rassurez-vous, un jour je ne manquerai pas de mourir. » C’est un de Gaulle goguenard qui prononce ces paroles lors d’une de ses fameuses conférences de presse en 1965.
Le 9 novembre 1970 en effet, de Gaulle n’y manque pas et tire discrètement sa révérence dans le soir de Colombey-les-Deux-Églises. Alors qu’il a quitté le pouvoir un an auparavant, de Gaulle va rassembler une dernière fois ceux qui l’ont adulé autant qu’ils ont été prompts parfois à se détourner de lui. Quelques jours plus tard en effet, la foule de la Libération semble s’être portée à Colombey dans un ultime hommage mais cette fois fait de silence et de larmes devant le blindé qui porte en terre ce « dernier roi de France ». À Notre-Dame, le glas résonne sous les voûtes qui accueillent les chefs d’Etat du monde entier. La France, désormais veuve selon la formule du Président Pompidou, est loin d’être la seule à porter le deuil.
Ainsi prennent fin 79 années d’une vie consacrée à l’armée, à sa famille, à ses convictions et au fond de tout à la France.
De Gaulle mérite bien plus que nos quelques mots, que nos pensées qui, 50 ans après sa disparition, ne cessent de se tourner vers son ombre qui n’en finit pas de hanter notre vie politique et d’alimenter réflexions, comparaisons et analyses de tous bords.
Mais en vain car le général de Gaulle fut un homme hors cadre.Cet homme qui « habitait sa propre statue », d’après le mot célèbre de Malraux, ne fut pas l’homme de la gauche mais il refusa de se laisser enfermer en homme de droite. Il ne fut pas l’homme de l’armée ni celui des révolutionnaires. Il ne fut pas l’homme des partis ni celui des masses.
Non, de Gaulle fut la France. Une France hétéroclite car inspirée de ses siècles d’Histoire mais tournée vers le progrès et l’avenir. Une France rurale mais enrichie de ses innovations, portant fièrement son ambition de modernité.
De Gaulle nous échappe parce qu’il s’élève au-dessus de « nos pauvres vies ».
De Gaulle est plus grand – non seulement par son physique mais par son esprit même, par ses vues, par sa résilience, par son style, par son œuvre…
Refusant l’idée de défaite, il sauva l’honneur de la France en 1940 et au-delà, la survie même de la Nation qui continua de vivre libre à Londres et dans le combat de la Résistance intérieure.Refusant l’abandon de l’indépendance nationale, il voulut incarner une troisième voie, ralliant à la France tous ceux qui repoussaient le choix entre l’excès américain et le repli soviétique.
Refusant les fractions, il chercha à parler à tous, d’une même voix et à incarner l’unité d’une France faite tout entière de son passé monarchique et impérial et de son héritage républicain.
Enfin, refusant le marasme, il choisit toujours le mouvement, le combat, l’honneur, le bon sens… quitte à se mettre à dos ses partisans et ses alliés, depuis la débâcle de 1940 jusqu’au départ de 1969.
On lui reprochera peut-être de ne pas avoir épousé l’Europe. Mais c’est parce qu’il en avait compris les travers à venir et l’aplatissement des consciences. Son Europe, c’était celle des peuples.
On lui reprochera souvent un pouvoir solitaire, monarchique. Mais c’est parce qu’il avait compris les errances partisanes, les aveuglements et les renoncements des médiocres qui ne voyaient jamais l’intérêt général que passant d’abord par leurs propres ambitions. Ainsi préféra-t-il se couper de la bourgeoisie et de son entre-soi sectaire pour parler au cœur des Français.
Inventant une nouvelle façon de faire de la politique, de Gaulle imposa un style, une gestuelle, une voix… devenus familiers à chacun de nous.Imaginant un nouveau régime républicain, il façonna un Etat moderne, stable, réformateur.
Ecrivant enfin sa légende, il bâtit l’Histoire avec laquelle il avait fini par se confondre pour ne plus la quitter.
Mais une fois que tout cela est dit, il faut enfin comprendre que, justement parce qu’il nous échappe, il ne sert à rien d’entretenir la nostalgie d’un homme qui la refusait lui-même. En d’autres termes, lui empruntant sa célèbre répartie : on pourra crier « De Gaulle ! De Gaulle ! De Gaulle ! », cela n’aboutit à rien. « Je suis un homme qui n’appartient à personne et qui appartient à tout le monde. » se plaisait-il à dire. C’est pour cette raison que de Gaulle ne se récupère pas, il s’incarne de lui-même, sans intermédiaires douteux.
Que les leçons et l’héritage du général de Gaulle continuent de nous guider, que nous continuions à le lire, à l’étudier, parfois à le remettre en cause, telle est l’ambition à avoir. Mais elle ne peut et ne doit pas être dans la référence perpétuelle et désormais dénuée de sens, voire de vérité. De Gaulle fut grand parce qu’il avait su établir un modèle, s’inscrire dans le sillage de Jeanne d’Arc, de Napoléon et de Clemenceau. Parce qu’il avait gouverné tantôt en Richelieu, tantôt en Colbert. Parce qu’il était inspiré d’un Chateaubriand, d’un Bernanos, d’un Péguy ou d’un Mauriac.
Mais il fut grand aussi parce qu’il avait compris que, comme lui, chacun d’eux appartenait à son temps.Aujourd’hui, prenons ce chemin. Souvenons-nous d’un homme de son temps. Souvenons-nous de Charles de Gaulle qui avait su porter l’espérance et le courage d’une France éternelle parce que forte de son passé et riche de sa modernité.
« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! » lançait-il en sentence irrévocable. Alors de là, soyons de notre temps en conservant à l’esprit les leçons du combat, du renouveau et de l’espoir, en laissant Charles de Gaulle à l’Histoire, cette place des siècles qu’il a tant méritée, en nous tournant vers l’ambition, toujours nouvelle, de la France d’aujourd’hui, inspirée d’hier et forgeant celle de demain.
Marin Menzin
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